dimanche, décembre 18

De l’idée à l’innovation, de l’innovation à la transformation de nos sociétés ...

Rares sont ceux qui sortent des sentiers battus partir découvrir de nouvelles voies sans toujours avoir conscience du risque. Les Gandhi, Einstein, Martin Luther Ling, Picasso et Steve Jobs font partie des « Crapauds Fous », métaphore de Pierre de la Coste, capables de transformer nos sociétés.





Pour rebondir sur cette métaphore, rappelons-nous néanmoins, que seuls, sans un entourage, un support capable de porter leurs idées, leurs valeurs, ils seraient restés des « Crapauds fous » perdus et isolés.

Technology Review - Pierre de La Coste, Infographie : sciencegraphique

Origine du « crapaud fou »

A l’image d’un gène dans l’ADN, le « crapaud fou » est une mutation de l’ADN de notre société, imprévisible et aléatoire. Sera-t-elle bénéfique, délétère ou sans conséquence ? Il est impossible a priori de le déterminer. Parfois dormante, elle pourrait se réveiller à n’importe quel moment selon les variations et bouleversements de son environnement et sauver une espèce en se reproduisant.

Toute société génère des « crapauds fous », des éclaireurs illuminés, des aventuriers cherchant fortune, des explorateurs à la quête d’un nouvel Éden ou de simples quidams ayant perdu leur chemin… avec chacun des motivations propres. Un « crapaud fou » n’a de sens que le sien, il est indépendant des autres quel que soit les conséquences de ses choix. Il peut ouvrir des portes que nul autre n’oserait pousser, enfoncer des portes ouvertes ou se précipiter dans le vide.

Il serait autant capable de sauver l’espèce en montrant le chemin à travers champs aux « crapauds normaux » que de l'anéantir s'il était suivi en traversant une route fréquentée. Comme pour les mutations, parmi toutes les voies tracées par tous les « crapauds fous » seules quelques-unes subsisteront et nous aideront à faire face à une transformation profonde de notre environnement. Enfin, si la majorité des crapauds étaient des « crapauds fous », l’espèce risquerait l’extinction à long terme, car elle n’aurait aucune direction cohérente.

Le « crapaud fou » est souvent un être solitaire, sa folie effraie plus qu’elle n’attire.
Il doit faire preuve d’une rare persuasion, d’une volonté sans faille et d’une capacité à trouver écho auprès de ceux qui ont le pouvoir et les ressources de transformer des idées en grandes réalisations. Les Christophe Colomb et Léonard de Vinci auraient-ils foulé l’Amérique, été un peintre, ingénieur, inventeur de génie, sans respectivement Isabelle de Castille ou Laurent de Médicis.

La conquête de l’Ouest aurait-elle été si rapide si le Congrès américain n’avait pas favorisé l'implantation des fermiers à l'ouest du Mississippi et s’il n’avait pas investi massivement dans la construction du chemin de fer transcontinental ?

Les « crapauds fous » ont besoin de leur mécène pour que leurs idées prennent vie.

Après la question est : Quels crapauds soutenir : les plus hardis, les plus courageux ou les plus consensuels ?


En 1845, un message pouvait prendre 6 mois pour être acheminé de la côte est à la côte ouest du continent américain. Début 1860, 25 jours en diligence sont encore nécessaires.
Le 3 avril 1860, « trois crapauds fous » William Hepburn Russell, William B. Waddell et Alexander Majors décident de lancer le Pony Express. Grâce à un réseau de 160 relais et 400 chevaux, ils parviennent à relier l’Atlantique au Pacifique à la vitesse d’un cheval au galop, soit en seulement 10 jours.


Le 24 octobre 1861, le dernier poteau d’un télégraphe est planté et le soir même, seules quelques secondes suffisent pour qu’Abraham Lincoln reçoive le premier télégramme transcontinental. Deux jours plus tard, le Pony Express cessera toutes ses activités et ruinera ses fondateurs.

Il n’est pas toujours évident de miser sur le bon cheval. Il est plus facile de creuser une piste déjà tracée plutôt que de sortir des rails. Pourtant, il est indispensable de savoir s'éloigner des sentiers battus et chemins balisés et de ne pas attendre l’approbation de la majorité pour soutenir les idées des « crapauds fous ». Les Hommes qui ont le plus marqué notre Histoire sont ceux qui ont refusé de suivre son cours et ont eu la volonté inébranlable de le changer, non de le suivre. Galilée, Gandhi, Martin Luther King ont défendu leurs idées et leurs idéaux au péril de leur vie. Nos sociétés digèrent leurs idées à leur rythme, lentement ou par à-coups avant qu’elles ne coulent dans nos veines.


Actuellement, nous avons provoqué de changements si profonds à notre planète et société que les problèmes auxquels nous allons nous heurter ne pourront plus être résolus par de vieilles recettes.

Nous devons soutenir et développer la bio-diversité des idées si nous souhaitons que parmi elles en sortent quelques solutions iconoclastes et salvatrices. Au minimum nous devons les tolérer et non les pourchasser systématiquement au nom d’une doctrine commune ou parce qu’elles ne rentrent pas dans le cadre.

Pour y parvenir, nous devons d'abord OUVRIR. Ouvrir nos yeux, nos oreilles, nos livres, favoriser les rencontres et la fertilisation croisée des idées.


Ce n’est pas un hasard si la mécanique quantique a fait des bonds spectaculaires dès les premières décennies du XXe siècle. Des physiciens tels que Bohr, Heisenberg, Einstein, Schrödinger, de Broglie se retrouvaient et partageaient leurs idées à l’occasion notamment des congrès Solvay grâce au mécénat d'Ernest Solvay, un chimiste et industriel belge.

À une échelle beaucoup plus large et dans l'esprit de sites comme Wikipedia, nous pouvons utiliser le puissant levier du citizen-sourcing sur des sujets nous touchant tous tels que la maîtrise de l'énergie, l'éducation, l'accès au numérique, les soins ou tout simplement la gestion de notre ville. Ce n'est évidemment pas exclusif des autres moyens pour trouver des solutions, mais cela apporte du sang frais.

Que nous manque-t-il pour que cela réussisse réellement ? D'abord, les données.

Nous les avons de manière parcellaire et souvent partisane avant les élections ou lorsque le sujet arrive sur le devant de la scène.

Or, comment viser juste si nous ne savons pas où se trouve la cible ? Comment savoir qu'une idée est bonne, si nous ne pouvons suivre son impact dans le temps et de le comparer avec ce qui était espéré ?


Donner accès aux données publiques (comme le programme data.gov aux États-Unis), exposer en détail les problématiques de sa ville, sa région, son pays avec ses contraintes et indicateurs associés et en les mettant en perspective constituent la première brique. Par exemple, des programmes comme See-It développé dans la ville d’Albuquerque (Etats-Unis), donnent enfin de la visibilité aux citoyens pour suivre et évaluer les efforts de la ville sur le plan écologique.


Ensuite, nous devons donner à chacun la possibilité de commenter, réagir sur ces données et même de les produire et participer à la recherche de solutions. Des villes comme Boston, San Francisco et New York ont déjà mis en place des applications permettant à tous de remonter tous les problèmes urbains comme les graffitis, les routes dégradées, les feux rouges en panne… découverts dans leurs villes. La prochaine étape pourrait être de donner à chacun la possibilité d’apporter ses idées sur l’aménagement de la ville, les transports, la sécurité…


Cela incite chacun à être acteur et non spectateur, de participer à la solution plutôt que d'entretenir le problème.

La deuxième étape après Ouvrir est de CHOISIR.

Il est impossible de prendre en compte les idées de tous, il est donc nécessaire de choisir. Oui mais lesquelles et par qui ?

Chaque idée au départ est comme une clé qui n’a pas trouvé sa serrure. L’objectif n’est pas qu’une entité choisisse pour tous les meilleures idées, mais que chaque entité trouve l’idée qui l’aidera le mieux à résoudre son problème.

Communiquer clairement et largement sur ses priorités et critères de sélection est une forme de choix a priori.

En donnant ses lignes directrices, un État, une ville, une organisation ou une entreprise va inciter les multiples « crapauds fous» à se concentrer sur un domaine, car ils auront plus de chances d’être choisis pour bénéficier d'un support financier, logistique, médiatique.....

Néanmoins, l’Internet participatif, le Web 2.0, l’explosion du « Many to Many » ouvrent une formidable fenêtre qui favorise la rencontre croisée d'innombrables problèmes et d'une multitude de solutions...


Les moteurs de recherche comme Wolfram Alpha, les forums Internet, Wiki sont les ancêtres de cette révolution en permettant de trouver facilement une réponse à des problèmes simples. Déjà commencent à émerger des sites webs comme Crowd Spirit et en particulier Hypios permettant de réaliser le « match-making » entre problèmes et solutions.


Une entreprise, une organisation, une collectivité territoriale peuvent exposer un cahier des charges de leur problème en restant anonymes s’ils le souhaitent. Toute personne porteuse de solutions peut facilement y répondre.

Avec l’expansion de ces plateformes de solutions, un mode « pull » complétera certainement le mode « push ». A l’image des sites de recherches d’emploi, chacun pourra publier des solutions et les problèmes qu’elles résolvent indépendamment des problèmes déjà soulevés par d’autres. La recherche sémantique associant par analogie des problèmes et des solutions démultiplierait même les échanges. Un problème publié aujourd'hui pourrait trouver une solution proposée bien avant et provenir d’un domaine très différent.

Enfin, il sera possible de voter pour les meilleures solutions, de suivre leurs résultats, leur évolution…

La troisième étape est d'AGIR.

Agir est rendre concret une idée afin qu’elle ne reste pas dans un placard virtuel. Il y a de nombreux leviers pour entretenir un terreau favorable à l’action : développer la création d’entreprises et l’auto-entrepreneuriat autour des solutions proposées, faciliter les échanges entre chercheurs et entreprises, entre citoyens et administrations…

Pour que les innovations en rupture transforment réellement notre société et assurent notre avenir, les « crapauds fous » doivent être rejoints et soutenus par une communauté croissante de « crapauds pionniers » « colons » puis « suiveurs ».

Attentifs aux nouvelles idées des « crapauds fous », les « crapauds pionniers » construisent les routes des voies que les « crapauds fous » ont explorées. Ce sont les premiers bâtisseurs qui facilitent l’accès aux prochains crapauds. Inciter des acteurs suffisamment importants et écoutés (collectivités, acteurs privés, organisations internationales, personnalités reconnues…) à soutenir et investir du temps, des ressources dans ces idées sont autant de moyens pour les aider.

Les routes une fois pavées ouvrent l’accès aux « crapauds colons » qui veulent quitter leur ancienne terre pour partir vers de nouveaux cieux. Les « crapauds colons », ce sont les entreprises qui bâtissent un écosystème autour des entreprises pionnières en fournissant la logistique, les systèmes d’informations… Puis vient le temps des « crapauds suiveurs » qui sont prêts à venir, car l’herbe est plus verte, mais qui ne seraient jamais venus s’il n’y avait eu de « crapauds fous, pionniers et colons ». Ils représentent le volume indispensable pour faire évoluer une société entière.

Il y aura bien sûr des « crapauds réfractaires » qui ne quitteront jamais leur terre ancestrale, mais même eux sont importants, car parmi eux, nous trouverons peut-être les « crapauds fous » de demain et ils resteront la mémoire de nos racines.



Ainsi, pour innover et trouver des solutions durables, il est crucial de stimuler cet esprit de conquête qui ne repose pas uniquement sur les épaules des « crapauds fous », mais aussi sur tous les autres « crapauds ».

La dernière étape est de REAGIR

Réagir, c’est être capable de déterminer très rapidement si une solution est adéquate et quand elle ne l'est plus, la faire évoluer voire de revenir en arrière et changer de cap si nécessaire. La complexité croissante des problèmes et la vitesse de changement de notre société rendent les solutions peu prévisibles et rapidement périssables si elles n'évoluent pas. Il est d’ailleurs préférable de l’anticiper en évitant les choix définitifs et en gardant toujours plusieurs options ouvertes. Le temps entre l’action et la réaction est devenu quasi nul.

Pour répondre à cet état, nous devons changer de perspective. Les idées qui apporteront les solutions de demain n’auront, à terme, pas de propriétaires. Elles seront autonomes, « open source », capables d'évoluer très rapidement, de s'adapter aux changements de leur environnement, de se mélanger entre elles à l’image des mèmes grâce aux révisions, améliorations de chacun.

Conclusion

Faut-il intégrer ces idées à la vitesse de leurs évolutions ?

Le danger est d’être entraîné dans une course de vitesse effrénée où nous perdrions le cap. D’autre part, notre société n’est pas constituée d’un seul bloc. Elle évolue à plusieurs vitesses alors qu’il y a une intrication de plus en plus grande entre ses composantes. Pour éviter la dislocation, il est crucial de ne pas perdre de vue ce que nous avons en commun, qui nous sommes, quelles sont nos valeurs et ce à quoi nous aspirons. Nous pouvons donc intégrer ces idées mais à un rythme que nous sommes capables de soutenir.



Plus généralement, en facilitant l'enchaînement : Ouvrir, Choisir, Agir et Réagir, nous ferons émerger les meilleures idées des crapauds fous afin qu’ils répondent aux transformations de notre future société en tenant compte de ceux qui la composent.

L’avenir de notre communauté repose bien sur les « crapauds fous » qui découvriront de nouvelles voies, mais aussi sur toute la communauté des crapauds avec qui ils vivent.

Dimitri - 2011
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samedi, octobre 8

Jamais sans mon iLad - intelligent Life Advisor ! (Iphone 4S et Siri)


Des agents intelligents, des e-concierges, des conseillers numériques... vont progressivement nous envahir sous de multiples formes notre quotidien. La première étape a été franchie avec l'iPhone 4s et son assistant personnel vocal Siri. Ils vont nous aider à décider voire décider par eux-mêmes sans même nous consulter, pour notre bien évidemment ;-) 

Comme toute nouvelle techno, les agents intelligents seront côté face d’une aide précieuse et côté pile, pourront être l’instrument de dérives comme  la perte massive d’initiative humaine, la manipulation de masse  …

Faisons un petit saut de quelques années pour imaginer leur place dans nos vies avec les deux côtés de la pièce. Voici ce qui pourrait vous arriver … : 

« Comme d'hab, je rentre tard du boulot après une journée harassante. Les quelques minutes gagnées en slalomant entre les embouteillages grâce à mon GPS intelligent ne suffiront pas pour échapper au fameux savon que me prépare ma femme, car ça fait plus de deux semaines que je dis que je vais rentrer plus tôt et que je rentre plus tard. Je glisse ma clé dans la serrure, ouvre doucement la porte et là, surprise, je vois ma femme avec un grand sourire qui se rapproche de moi à grandes enjambées et me prend dans ses bras.

Malgré ma stupeur, je garde un sourire convenu. Quel heureux événement a balayé tous les reproches que je m'attendais à recevoir ? Mes yeux parcourent machinalement le salon et voient un superbe bouquet de fleurs près d'un écrin noir encore fermé. « Tu y as pensé, mon coeur ! » me dit-elle. « Oui », lui dis-je gêné sans bien comprendre ce qui m'arrive, une erreur du facteur, un amoureux anonyme ... « Ton mot m'a beaucoup touché » me dit-elle en tendant le carton, signé par moi ! « ... tu n'as pas oublié notre anniversaire de mariage ».  Une petite vibration dans mon veston l’interrompt brièvement, la deuxième m’intrigue, à la troisième, c’est le flash. D’un geste discret, je retire mon veston, attrape mon portable et jete un oeil sur Le Message.

« Anniversaire de mariage : Votre LAd vous a commandé une paire de boucles d'oreille gracieusement accompagnée du bouquet de fleurs « Never Forget » dans la limite que vous avez fixée de 200 euros.» Bingo, c'est donc ça. Tout a commencé, il y a 6 mois environ. 

J'avais changé de téléphone mobile et on m'avait proposé de tester gratuitement une nouvelle application, le LAd pour Life Advisor. Le LAd est une sorte de conseiller numérique qui, sur base de vos préférences, des informations que vous acceptez de lui confier et dans les limites que vous lui avez fixées, peut agir pour votre compte. Dans mon cas, j'ai testé, l'une des options phares du LAd : « Take Care of your Birthdays ». Le principe est simple, vous indiquez parmi les anniversaires que vous avez notés dans votre agenda ceux à l'occasion desquels vous souhaitez offrir un cadeau, quel est le budget maximum et le mode de livraison.

Anticipant déjà que j'oublierai notre anniversaire de mariage, j'ai préféré prendre les devants, j'ai indiqué pour cette date « Activer LAd » puis précisé au LAd quelques types de cadeaux : bijoux, fleurs, livres. Je l'avais autorisé à accéder à mon compte Facebook, Twitter et à l'historique de navigation sur mon mobile et notre ordinateur à la maison. Enfin, je lui avais donné un budget maximum de 200€ et sans y prêter plus d'attention que cela.

Tout s'est alors enchaîné deux semaines avant la date fatidique, mon LAd a d'abord regardé l'historique de navigation des recherches de ma femme (sur 12 mois) et a identifié quelques marchands et objets qu'elle avait visités et remarqué quelques tweets et messages sur Facebook échangés avec ses amies. Il avait ensuite utilisé un comparateur de prix, identifié une promo associant bijoux et fleurs et transmis quelques demandes aux agents intelligents des sites spécialisés. Un de ces agents a proposé une très belle offre « en espérant » que mon LAd lui renverrait un jour ou l’autre l’ascenseur.

Mon LAd  a accepté la proposition, réalisé l’achat et transmis toutes les infos nécessaires pour être livré. Le tour était joué. Deux semaines plus tard, les bijoux et bouquet arrivent à bon port agrémentés d’un joli sourire de ma femme ! 

Je commence à goûter à ce type de services, je prends des options en plus, « Take Care of your Shopping » pour mes courses... « Take Care of your Evenings » pour nos soirées.

Les « Take Care » pullulent dans mon App Store : du « Take Care of your Finances », « Take Care of your Health, your Friends, your Children », jusqu''à l'incontournable « Take Care of your Life ».

Je remarque que mon LAd améliore chaque jour la pertinence de ses conseils, à tel point que je lui fais de plus en plus confiance. Par facilité, je le mets en mode automatique ou confirmation passive, il m'informe et agit sauf contre-indication de ma part.

Apple flairant le marché, lance son nouvel iLad d'Apple (version évoluée du Siri) qui fait un carton. Le marché des agents intelligents explose. Plus personne n'ose sortir sans. Je vois se propager autour de moi des agents partout, tous en réseau. Intégré dans mon mobile, ma télé, mon robot, il saute d'un objet à l'autre et s'adapte en fonction de l’écran, du lieu où je me trouve, de l’heure... Mon LAd, c’est mon petit gars à moi, toujours à mes côtés à me rendre des services.

Les opérateurs télécoms, les régies publicitaires, les Google, Facebook, Microsoft et consorts … se ruent sur cette poule aux œufs d’or. Chacun y met sa patte dont quelques versions sponsorisées qui entre deux conseils avisés, propose de prendre tel ou  tel chemin afin de passer par la boutique du cher parrain ou signale qu’à la différence des copines (pour la version femme !), cela fait plus de 15 jours que je ne suis pas aller chez le coiffeur « hype » du moment et qu’avec la promo, il serait insensé de ne pas en profiter... Une nouvelle appli fait un malheur « Find your Mate », qui vous aide de manière quasi naturelle à rencontrer votre âme soeur. Votre LAd communique avec d'autres LAds, comparent les profils sur base de vos messages, infos Facebook, Twitter, de vos déplacements et achats passés et quelques questions judicieuses… Il provoque des rendez-vous fortuits, en vous réservant des places de train contigües, en vous faisant passer par les mêmes magasins, en montant des situations de toute pièces juste pour provoquer votre rencontre afin que vous ayez l'impression que tout cela était naturel, inespéré, le Destin en somme. Il y aurait même eu des accrochages arrangés entre deux voitures afin que leurs conducteurs et conductrices se rencontrent. Bien sûr, les LAds avaient vérifié au préalable que leur propriétaire était garanti « Tous risques » et ne perdraient pas leur bonus à la suite de ce léger accident.

De plus en plus d’Etats contraignent même à l’achat de LAd pour réduire les émissions de CO2. En France, par exemple, il devient obligatoire de souscrire à un « Take Care of your Home » pour tout achat, construction ou rénovation de maison ou appartement pour échapper à l’impôt sur les plus-values des résidences principales. La modification massive des comportements grâce à ces LAds a permis de réduire bien plus notre consommation d’énergie que toutes les initiatives précédentes. Malheureusement, comme toujours, certains Etats dictatoriaux l’utilisent pour contrôler et surveiller leur population.

La multiplication des agents rend la vie tellement plus simple, une vie sans accrocs, avec ses surprises bien préparées. Tout s'organise autour de moi sans que je n’ai rien à faire, cela en devient presque ennuyeux, les anecdotes entre collègues de bureau sur nos mésaventures de la veille se raréfient.
Hormis quelques-unes, comme celle du collègue qui, après une partie de jambes en l’air avec sa collègue dans un hôtel voisin, échappe de peu à sa femme qui faisait des courses dans les parages. Heureusement que son LAd l’avait prévenu et surtout qu’il était en bons termes avec le LAd de sa femme sans quoi, ce dernier l’aurait piégé… à charge de revanche ! 

Les accidents, les mauvaises rencontres, les crimes se réduisent comme peau de chagrin. On en vient presque à regretter le temps où nous avions encore des regrets.  Nos décisions se réduisent à accepter les directions préconisées par notre LAd car il a raison dans la très grande majorité des cas, toute décision contraire se soldant par un échec. En plus, notre société n’a plus aucune raison de tolérer ces échecs maintenant que nous avons nos chers compagnons. Leur « jugement » devient même infaillible, car, par un effet d'auto-référence, les LAds n’ont même plus à deviner des choix humains car ceux-ci sont au final « dictés » par d’autres LAds.

Évidemment, nos comportements, nos actions, nos choix se normalisent à tel point que même les pouvoirs publics commencent à s’inquiéter du manque d'initiatives personnelles. Les résultats des élections sont annoncés plusieurs mois à l’avance, les plans de carrière qui se réalisent deviennent  réalité (même s’ils ne font guère plus rêver) et tous les outsiders regrettent amèrement de n’avoir aucune chance de faire leur trou ! 

Et là, je suis pris d’effroi, les prévisions auto-réalisatrices pavent mon avenir, celui de mes enfants et de toutes les générations suivantes et j’entrevois même ce que deviens l’humanité. Coincé entre deux miroirs qui se reflètent infiniment, je ne vois dans mon avenir, qu’une reproduction du passé qui anticipe un futur fondé sur les expériences que j’avais vécues… Je suis devenu le spectateur de ma propre vie dont je connais déjà la fin. 

Mais les premières craquelures apparaissent. Certains s’amusent à jouer des tours à leur Life Advisor, d’autres adoptent des comportements irrationnels parce que leur LAd leur prédit une vie misérable quoi qu’ils fassent ou parce qu’ils savent qu’ils ont une voie toute tracée. Le taux de suicide des jeunes atteint des sommets car les espoirs de jeunesse se brisent contre les prédictions de leur LAd, et ils se demandent si leur vie vaut d’être encore vécue.  Sans incertitude, il n’y a plus d’espoir et donc de vie. …

Les craquelures deviennent fissures. La fracture entre ceux qui ont les moyens de payer un LAd dernier cri et ceux à qu’ils ne restent plus que leurs yeux pour pleurer, les « life hackers » qui brisent des vies ou les détournent en s’attaquant à des LAds mal protégés … nous en témoignent.

Heureusement (;-), chaque nouvelle version de LAd apporte son lot de perfections et même « d’imperfections ». De nouveaux LAds simulent des erreurs et trompent leur propriétaire afin qu’ils suivent le chemin originellement prévu par leur LAd. 

Mais le danger est venu d’ailleurs, les LAds étaient parvenus à cerner voire à maîtriser l’aléatoire humain mais il restait un dernier rempart contre leur « omni-prescience », la Nature.

4h du matin, un coup de tonnerre retentit dans ma chambre, j’émerge péniblement des limbes de mon rêve, une sirène stridente me force à me lever. Prêt à fracasser mon LAd pour avoir osé interrompre mon sommeil, je me ravise en voyant sur son écran : DANGER – SORTEZ. Dehors, il drache des cordes, je vois des torrents d’eau boueuse dévaler ma rue.  Ma femme s’écrie « Les enfants ! ».

Nous nous précipitons pour les réveiller afin de nous rassembler dans notre chambre.

Mon LAd beugle : « DANGER – SORTEZ IMMEDIATEMENT ». Sur son écran rouge en grosses lettres blanches clignotent : « DANGER – SORTEZ » avec une tête de mort, histoire de me rappeler qu’il ne s’agit pas d’une mauvaise farce. Par précaution, je me renseigne. J’allume mon mobile, plus de réseau ! ma télé, plus d’électricité ! mon iPad, 404 Not Found…

Si mon LAd nous demande de sortir, c’est certainement la meilleure des solutions. Je descends quatre à quatre les escaliers et entrouvre légèrement la porte comme me l’enjoint mon LAd. Projeté en arrière par la poussée de l’eau, je tombe. Entraîné par le flot, je parviens de justesse à m’agripper à la rambarde. Mon fils m’aide à me hisser hors de l’eau. Nous montons à l’étage.

Impuissants, nous regardons l’eau gravir à une à une les marches de l’escalier. L’eau arrive à nos pieds. Je sors ou pas par la fenêtre, saurons-nous tous grimper et rester sur le toit alors que des trombes d’eau continuent à frapper notre maison ?

JE NE SORS PAS. PERSONNE NE SORT.

Un, deux, trois bips agonisants s’échappent d’une masse noire difficile à distinguer dans le noir. « Le LAd ! » Je l’avais presque oublié. En le retournant, je vois s’afficher une grosse batterie presque vide. Comme un dernier souffle, il rend l’âme en arborant un « Bye Bye » qui s’évanouit dans les ténèbres numériques. Je ne savais pas que les LAds pratiquaient l’humour…noir !

Nous grimpons tous sur la grosse commode de notre chambre, recroquevillés, serrés les uns contre les autres.
Les hallebardes d’il y a quelques instants se métamorphosent en doux tapotis sur nos fenêtres. Un silence glacial nous recouvre. L’eau cesse de monter. Entre nous, se murmure un léger ouf de soulagement. Insensiblement, l’eau bat en retraite laissant derrière elle un champ de ruines.

Pourquoi mon LAd voulait-il tant nous faire sortir ?

Les jours qui suivirent, des histoires invraisemblables de gestes désespérés, de sauvetages inespérés, de retrouvailles tant espérées se propagent d’une maison à l’autre.

Les LAds auraient-ils perdu leur raison face à tant d'irrationalité, le temps d’une inondation auraient-ils construit une logique biscornue bâtie sur une éruption d’émotions, de comportements humains de survie et de solidarité.

Je ne sais pas si, en suivant à tout prix les choix du LAd, nous aurions survécu. A défaut de trouver une issue favorable, préférait-il nous contraindre à trouver une issue tout court ? Avait-il anticipé que la seule solution pour que nous nous en sortions était de proposer une solution absurde afin de nous obliger à décider par nous-mêmes qu’elle était la bonne ?

Je ne sais pas. Je sais seulement que depuis ce jour-là, nos enfants et nous, nous souvenons qu’un LAd n’est pas infaillible et que nous sommes capables de prendre de bonnes décisions par nous-mêmes. »

Revenons au présent.  Que faire pour éviter ce  type d’escalade, faut-il interdire les agents intelligents, les réglementer, laisser faire ? Doit-on les contraindre à intégrer une part de hasard voire d’erreur pour éviter que nous devenions hypo-vigilants et que nous nous reposions uniquement sur leurs préconisations ?

Aujourd’hui, il est trop tôt pour le dire. Nous devons juste rester vigilants afin que les agents intelligents nous apportent plus que ce qu’ils ne nous prennent, car pas de doute ils arriveront et plus tôt que vous ne le croyez pour le meilleur et je l’espère, pas pour le pire…

Dimitri

P.S.
« Affranchi de l'autorité des adultes, l'enfant n'a donc pas été libéré mais soumis à une autorité bien plus effrayante et vraiment tyrannique : la tyrannie de la majorité. »  - Hannah Arendt.



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samedi, juillet 9

De la société Formule 1 à la société tout-terrain


Après nous être pris pour les deus ex machina sur notre planète Terre, nous voilà redescendus de notre piédestal à essayer de résoudre des problèmes devenus insurmontables. Nous sommes de plus en plus confrontés à des cygnes noirs, événements imprévisibles et peu probables ayant des conséquences considérables : séismes, inondations, réchauffement climatique, crises financières… dont nous sommes en partie responsables.

Il est impossible de tout anticiper, de tout prévoir. La Nature a un peu plus d’expérience sur le sujet que nous, les Hommes en surmontant bon nombre de cataclysmes planétaires. Nous pouvons nous en inspirer afin de réduire la fréquence et la force des bouleversements dont nous sommes l’origine, amortir leur impact et rebondir après.

Quatre principes nous aideraient à y parvenir : réduire durablement et significativement nos besoins en ressources naturelles, adopter des produits tout-terrain plutôt que des Formule 1 trop fragiles, migrer nos réseaux pyramidaux vulnérables vers des réseaux « many-to-many », maillés et robustes et favoriser la diversité au lieu de la standardisation.

Depuis la révolution industrielle, nous avons choisi un modèle différent qui grâce à son efficacité nous a permis de bénéficier d’avancées majeures comme l’accroissement de l’espérance de vie, la diminution de la pauvreté, l’accès aux connaissances… Les limites de ce système sont sa très forte vulnérabilité que nous avons voulu compenser avec plus de contrôle, de réglementation ce qui réduit nos libertés et paradoxalement accentue encore plus notre fragilité. Il faudrait adopter la position exactement inverse en passant d’un système rigide à un système flexible où l’adaptation, la diversité et la coopération se substituent à l’efficacité maximale, au standard et au contrôle.

Déjà, cette seconde voie existe et se développe en parallèle de notre société traditionnelle comme l'illustre la croissance du secteur non marchand sur base d’un réseau maillé, ouvert et robuste (C2C : ebay, Price Minister, Home Swapping, covoiturage…)

Les conflits entre les partisans de la première et de la seconde naîtront certainement mais plutôt que d’opposer les deux systèmes, nous pouvons gagner à hybrider les deux afin que le cas échéant, l’un puisse prendre le relais sur l’autre en résistant aux épreuves que nous risquons de vivre dans les prochaines années et en estompant le choc du passage de l’un vers l’autre.
Pour aller plus loin, vous pouvez découvrir les pages suivantes ici :
De la société Formule 1 à la société tout-terrain

Dimitri 
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vendredi, juin 17

Après ma TV, mon frigo, j'ai enfin ma brosse à dents communicante !

 
Après les mobiles, les tablettes, les TV, chaque objet peut potentiellement devenir communicant. Pourquoi faire me direz-vous ? Entre l'utile, le futile et l'inutile, nous pouvons tout imaginer comme nouveaux usages et services pour le meilleur et pour le pire. Ils peuvent  apporter quelques réponses aux défis futurs et comme toute techno, présenter quelques risques...


Le formidable essor des services dans nos économies s’est accompagné d’un développement exponentiel des nouvelles technologies et de ses usages dans notre quotidien. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des défis majeurs tels que le réchauffement climatique, la réduction des ressources naturelles, la crise financière, la diffusion fulgurante de maladies comme la grippe A. Nous devons ainsi résoudre des problèmes de plus en plus complexes ayant des impacts de plus en plus dévastateurs avec des ressources de plus en plus limitées et dans un temps de plus en plus court.

Sans être la panacée, l’intégration de nouvelles technologies dans nos objets quotidiens peut apporter des réponses : en simplifiant, en délivrant les informations pertinentes au bon moment, en facilitant la collaboration et réduisant notre consommation…

Ces objets communicants, appelés aussi « neoobjets », « spimes » ou « smart objects » nécessitent pour se déployer un écosystème constitué de réseaux de communication, de systèmes d’exploitation ou « OS », d’une sémantique partagée, d’une intelligence ambiante et d’interfaces avec les hommes.

Pour développer des services autour de ces objets communicants, il est essentiel qu’ils tirent parti des modèles économiques innovants issus notamment d’Internet et qu’ils apportent une véritable valeur ajoutée par rapport aux services déjà existants, une simplicité d’usage et un juste prix.

Néanmoins, l’origine de leur formidable essor viendra de leur potentiel à répondre à de vrais besoins. Quelques questions judicieuses sur les usages, le contexte d’utilisation, les besoins des utilisateurs sont autant de moyens de découvrir de nouveaux services pertinents.

La diffusion de ces objets soulève aussi des questions qui concernent autant leurs impacts en terme de consommation d’énergie, sur notre santé que sur la protection de notre vie privée ou notre dépendance technologique. Il est essentiel que nous soyons éclairés à ce sujet et que nous en tenions compte dès leur conception. Dès lors, les services imaginés pour ces objets seront plus à même de répondre à nos attentes tout en réduisant au plus leurs impacts négatifs.

Pour aller plus loin, vous pouvez découvrir les pages suivantes ici :
Après ma TV, mon frigo, j'ai enfin ma brosse à dents communicante !
(Nouveaux usages, l'éco-système, l'infrastructure, modèles économiques,  l'envers du décor...)

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dimanche, février 8

Papa, peux-tu me raconter une histoire…

Depuis tout petit, on nous raconte des histoires de petit chaperon rouge, de dragons, de Père Noël sans oublier de plus récentes Tchoupi, Kirikou, Bob l’Eponge et consorts… Même adultes, nous aimons toujours autant les écouter et les croire. Le succès du film Slumdog Millionaire l’illustre d’ailleurs très bien. C’est même l’objet d’un terme consacré : Storytelling. Certains politiques l’utiliseraient pour nous faire avaler des couleuvres, des entrepreneurs l’utilisent dans leur business plan pour susciter le coup de cœur chez les investisseurs. A l’image de la prose de M. Jourdain, nous racontons des histoires quotidiennement, avec des desseins positifs ou moins avouables.

Mais la question est : Pourquoi préférerons-nous une bonne histoire à une réalité fade ?

L’histoire a tout pour séduire, elle a du sens, nous les mémorisons bien, elle rassure, elle émerveille sans que nous prenions le moindre risque… apparemment.
Mais avant, l’histoire est d’abord un formidable véhicule de nos idées, nos valeurs, notre culture.

Commençons par un exemple récent, le film Slumdog Millionaire. Pourquoi y-a-t-il un tel engouement pour ce film ? Une des clés est la fusion improbable de deux histoires, deux fils conducteurs a priori dissonants en une histoire qui immanquablement résonne en nous : L’histoire de Jamal Malik, orphelin ayant grandi dans les bidonvilles de Mumbai et l’enchaînement des questions de « Qui veut gagner des millions ? ». A chaque question répond, en contrepoint une épreuve critique dans la vie de ce jeune indien. A chaque réponse correspond un condensé de la vie de Jamal qui parvient malgré les obstacles à franchir une fois de plus son obstacle. Une histoire fait l’écho à l’autre. Faites un film sur l’histoire de Jamal ou un film sur « Qui veut gagner des millions ? », séparément ces films n’auraient certainement pas eu le même succès.

Nos parents nous racontaient des histoires pour nous éduquer ou nous « inculquer » des règles de base de notre société : ne pas se fier à des inconnus (le loup dans le Petit Chaperon rouge), qu'à trop ouloir faire à sa guise, on perd tout (Alphonse Daudet – La Chèvre de Monsieur Seguin)

Aujourd’hui, pas mal d’histoires ou dessins animés ont vu leur « morale » virée de bord. Nous sommes plus dans le genre « Massacrer les méchants » (relayée aussi par les jeux type « Shoot’em up » comme Doom ) . Espérons que le « Exterminer les gentils » ne deviendra pas trop populaire dans les prochaines années.

Indépendamment de leur véracité, la Bible, le Coran, le Talmud… sont remplis d'histoires, de paraboles.

Et plusieurs millénaires après ces livres "d'histoires" marquent encore très fortement notre culture, nos valeurs. La traversée de la Mer Rouge, l’Arche de Noé, les 10 Commandements… pour les histoires communes aux 3 religions.

Au sein même des religions, les histoires les ont façonnées et parfois divisées. L'origine du schisme entre chiites et sunnites, date des débuts de l'Islam (très schématiquement, Mahomet n’ayant pas désigné son successeur ou la manière de le choisir, certains ont considéré Ali comme premier successeur de Mahomet (cousin et gendre de Mahomet) et d’autres, l’imam Abou Bakr (compagnon de Mahomet, Ali deviendra le quatrième calife)). De par ailleurs, l’origine du schisme entre protestants et chrétiens vient de la volonté des uns de rendre accessible la Bible à tous contre la volonté des autres

Si l’on remonte plus loin encore, les sources de ces livres puisent dans des histoires racontées génération après génération, bien avant que ceux-ci soient écrits.

D'où vient alors la force de ces histoires.

Voici quelques pistes qui pourraient l'expliquer.
A) Nous avons besoin de sens

Nous, les hommes avons besoin de sens. Le chaos, le non-sens sont très difficiles à appréhender pour un Homme. Dès lors, on peut comprendre qu'un courant de pensée comme le nihilisme (qui considère que notre monde n'avait aucun sens) ait vite versé dans le pessimisme (cf Schopenhauer et Cioran) et qu'inversement il faille être un surhomme pour surmonter un monde sans sens tout en lui donnant un nouveau (cf Nietzsche).

Face à tout objet, événement, notre cerveau cherche à comprendre le pourquoi, à établir des relations avec d'autres objets, expériences connues dans le passé, à donner du sens à tout ce qui l'entoure.

Notre aversion pour le non-sens pourrait même nous pousser à préférer une histoire fausse qu'à une série de faits n'ayant pas de sens ou de liens entre eux. Le succès des théories du complot ou du bouc-émissaire pour expliquer tous nos maux est étroitement lié à ce besoin de sens. Indépendamment, de notre foi ou non-foi, comme disait Voltaire, Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. Car ce Dieu peut donner du sens, là où parfois nous n’en trouvons pas.

Quelques exemples nous éclaireront sur cela :

1) Meurtre avec mobile et sans mobile
Imaginez. Vous êtes désigné comme juré à la cour d'assises, le 1er jour, vous avez affaire à un meurtre et devez établir quelle peine va encourir le meurtrier. Un homme a tué sa femme parce qu’il était follement jaloux et persuadé que sa femme le trompait.

Deuxième jour : Un homme a tué sa femme exactement dans les mêmes circonstances, mais il l'a tué froidement, "gratuitement". Aucun mobile ne semble expliquer son acte. Tout juste, explique-t-il qu’il en avait marre de voir sa femme tous les matins depuis x années, qu’elle l’avait vertement tancé parce qu’il avait oublié pour la 100 000ème fois de ranger son slip et ses chaussettes, et que c’était la seule façon qu’il avait trouvée de la réduire au silence…définitivement !

Seriez-vous plus sévère avec le premier ou le deuxième meurtrier ? Sans doute le deuxième car même si le premier meurtre est injustifiable, il est explicable, le deuxième, nettement moins.

S’il y a des lecteurs qui portent la robe (des magistrats ou avocats, j’entends), je serais intéressé de savoir si effectivement les violences "gratuites" sont plus réprimées que les violences "non gratuites".

2) Le Brown Walk ou la marche brownienne

Après ce triste exemple, je propose une expérience inédite.
Vous voyez une personne marcher tout droit, faisant les cent pas, faisant des aller-retours de gauche à droite ou des cercles. Vous n'y prêtez guère d'attention, car vous vous dites qu'elle attend quelqu'un, qu'elle réfléchit ou rumine une idée ou que sais-je encore. Des raisons d'agir ainsi sont légions.

Maintenant, imaginez quelqu'un qui avance tout droit puis va à gauche puis à droite, recule, puis à droite, fait demi-tour… sans aucune logique. Un mouvement brownien en quelque sorte. Comment réagiriez-vous ?

Je vous sens, joueur, jouons donc. Imaginez que cette personne c'est vous. Comment réagiraient les personnes autour de vous ? Comment réagiriez-vous face aux regards de ces personnes ? Seriez-vous capable de le faire ? Jusqu'à preuve du contraire, je ne crois pas que cela soit illégal d'agir ainsi.

Pour vous aider, vous trouverez dans le texte ci-dessous un mode opératoire pour réaliser votre petite expérience, qu'on appellera le brown walk si vous aimez les anglicismes et la marche brownienne si vous préférez notre bonne vieille langue française.

Prenez garde néanmoins. L’issue de cette expérience peut être kafkaïenne si jamais vous tombez sur des pandores qui goûtent peu aux subtilités du non-sens et que par mesure de rétorsion vous plongent dans le non-sens administratif.

Voici un petit mode opératoire de la marche brownienne ou brown walk.

Pour comprendre le contexte de cette expérience, vous pouvez lire l’article ci-dessous.

a) La Préparation
- Vous prenez un dé et les jetez une quinzaine de fois (plus si vous avez une bonne mémoire, moins sinon) en notant le chiffre indiqué sur un papier.

- Vous prenez par exemple la convention suivante : 1 - Tout droit, 2 à droite, 3 vous reculer en arrière, 4 à gauche, 5 vous faites un demi-tour sur vous-même, 6 vous faites un tour complet sur vous-mêmE - Notez sur un papier la séquence en question et mémorisez-la par cœur ex: Tout droit, à droite, à droite, demi-tour, Reculez…

Pour faciliter, visualisez sur une feuille de papier votre séquence et répétez-la. Il vaut mieux que celle-ci ne vous mène pas vers les bords de la feuille trop rapidement. La version ado est la même sauf que vous enregistrez vos pas sur votre lecteur MP3 et portez les écouteurs MP3 pendant l'expérience. Il y a néanmoins un biais, car les passants risquent de vous jeter des pièces ou de passer leur chemin en pensant que vous dansez sur un fonds musical que vous êtes seul à entendre. b) L'Expérience Vous allez sur une place publique piétonnière ou un jardin public. Idéalement, elle est suffisamment grande pour que vous puissiez réaliser votre expérience et suffisamment animée (badauds, personnes assises sur des bancs…) pour que votre présence soit visible. Vous vous mettez dans un espace dégagé, commencez votre séquence et la répétez pendant dix minutes avec un regard et une attitude neutre.

c) La Réaction
Durant l'expérience, tout en maintenant un regard neutre, regardez la réaction des personnes. Vous pouvez même demander à un compère de filmer, tant que cela reste très discret (sinon on voit croire que c'est une séquence type vidéo gag).

Qui sait, vous pourriez devenir plus riche ou être jeté dans un asile selon que les gens vous jettent des pièces de monnaie ou qu'ils demandent à la police d'intervenir sur le champ.

Petite astuce : Si jamais, deux argousins vous mettent la main au collet et que vous ne souhaitez pas plonger dans une machination kafkaïenne, dite que vous êtes étudiant en psychologie comportementale et que vous faites une thèse sur la perception du non-sens. Si vous les regardez droit dans les yeux sans rire, ils devraient vous laisser. Quoique…Si vous êtes un brin téméraire, vous pourriez pousser l'audace jusqu'à leur demander leur témoignage sur leur perception de votre petite expérience.

Mais rien ne vous empêche, de devenir en même temps, créateur de non-sens et sa victime (si on vous enferme pour troubles du comportement) en laissant planer le doute dans l’esprit de ces roussins.

d) La Multiplication

Imaginez que le brown walk / marche brownienne soit réalisée par un grand nombre de personnes dans des lieux différents, qu'on en parle dans les médias, blogs… Comme la plupart des personnes sauraient de quoi il en retourne et donc attribueraient un sens à votre expérience, ils réagiraient normalement ou vous feraient un sourire du coin de l'oeil. A l'image, du phénomène des flash mobs, apparu très rapidement et disparu dans la foulée, les gens attribuent du sens à ce que vous faites et donc, réagissent de nouveau normalement et l’expérience tombe à l’eau. C’est une expérience éphémère et auto-destructrice !
Fin du mode opératoire sur la marche brownienne

B) Nous retenons mieux ce qui a du sens que ce qui n'en a pas

Les histoires ont cet avantage qu'il y a un fil conducteur de bout en bout et nous retenons nettement mieux cela qu'une juxtaposition de faits.

Prêt pour une démonstration rapide ?



Prenons 5 groupes de 11 "mots" chacun




  • DFKJM VBEO FTQJ RTY FGTYE EASRU HJRDSE AERZFYSYU TYRCSFH HJUODE AFGYED
  • Idée Banane Bleu Costume Détail Fier Vendre Madrid Verre Joie Terre
  • Banane Pomme Poire Fraise Cerise Mûre Framboise Abricot Pêche Kiwi Melon
  • Il est parti déjeuner tôt mais reviendra rapidement à son bureau
  • Allons enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé

Quel groupe retiendrez-vous le plus facilement ?

D'un groupe à un autre, nous ajoutons du sens, d'abord des mots, puis des mots qui un point commun, puis une phrase anodine, et enfin une phrase qui a un sens pour toute une nation.

Pourquoi ? C’est en grande partie dû à notre cerveau qui à la différence d’une mémoire informatique, ne recopie pas « bit par bit » pas la réalité dans ses neurones, mais mémorise un événement, une phrase avec une multitude d’autres éléments comme les émotions, les odeurs, les visions… Pour se rappeler l’événement ou la phrase, une odeur, un son, une émotion peuvent suffire. Cela nous laisse une petite longueur d’avance sur les ordinateurs, le temps qu’on trouve un moyen d’indexer massivement émotions, odeurs…

Autre exemple, vous arriverez rapidement à lire la phrase suivante « Vuos sevaz lrie cttee psarhe mmêe si lse lrteets ne snot pas dnas le bon odrre » , en revanche, vous aurez du mal à vous souvenir de l’ordre exact des lettres après l’avoir lue.

Pour l’histoire, c’est le même principe, nous retiendrons facilement les éléments qui contribuent au sens de l’histoire et oublierons ou même omettrons les éléments qui ne correspondent pas.

C’est ainsi, si la ficelle n’est pas trop grosse, que des hommes peuvent se reconstruire de belles légendes en effaçant leurs périodes les plus sombres.

Si l’histoire est largement répandue, il est très difficile de revenir en arrière et de la détricoter

…en particulier quand celles-ci sont fortement relayées par les médias … médias qui ont besoin de diffuser des histoires, car c’est bien plus vendeur qu’une juxtaposition de faits … bien plus vendeur parce que nous préférons écouter des histoires qu’une litanie de faits sans liens ! Des erreurs judiciaires comme Outreau sont des témoins de ces dérives qui peuvent commencer dès qu’une enquête privilégie trop une piste ou une thèse.

La pression de notre société peut empêcher que le moindre élément ne remette en cause une histoire. L’histoire devient vérité même si elle était mensonge.

C) Les Histoires : soins contre l’anxiété ?

Attendre les résultats d’un examen d’entrée dans une école ou université, le verdict d’un médecin suite à un accident d’un proche, les annonces d’une réorganisation majeure de son entreprise sont autant de moments qui peuvent devenir insupportables. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas ou plus de prise sur l’issue et que ces événements peuvent avoir un impact énorme sur nos vies.

Alors à l’image des joueurs de loto, qui ont l'impression de maîtriser le hasard en choisissant les numéros sur leur bulletin, nous choisissons une histoire pour nous donner l’impression que nous maîtrisons notre destin. Les exemples sont pléthores : « j’ai fait le maximum de toute manière », « il s’en est toujours sorti, il n’y a pas de raison qu’il ne s’en sorte pas cette fois-ci » « d’après ce qu’on dit, notre service ne sera pas touché »… Ces histoires mêmes infondées nous rassurent.

Dans le monde de l’entreprise, c’est flagrant avec la propagation des rumeurs. Certains, de la vieille école, croient qu’on peut arrêter les rumeurs, en disant haut et fort qu’il faut que cela cesse. C’est inutile, car c’est une réaction naturelle pour remplir un vide, un silence. Pour ceux qui veulent éviter les rumeurs, le plus simple est encore de communiquer sans essayer de faire prendre des vessies pour des lanternes.

D) Notre Histoire après coup

On se raconte des histoires avant qu’il nous arrive quelque chose, mais aussi après. « J’avais bien fait de prendre cette décision, car si j’en avais prise une autre, le résultat aurait été catastrophique » ou « De toute façon, je n’avais pas le choix ». sont autant de phrases qui peuvent nous rassurer même si intimement nous savons que nous avons fait le mauvais choix. Accepter que nous ayons pris une mauvaise décision alors que nous avions tous les éléments pour prendre la bonne est fort peu banal. Dans certains cas, c’est même nous remettre complètement en question. Cela explique par exemple que des communistes soviétiques ayant vécu sous Staline et lui ayant voué un culte indéfectible ont beaucoup de mal à admettre les atrocités commises sous la férule du « petit père des peuples ». Dans un registre différent, l’attitude jusqu'au-boutiste des Etats-Unis dans la guerre du Vietnam procède de la même mécanique.

Plus généralement, il nous est plus facile de poursuivre dans l’erreur que d’accepter son erreur et prendre un nouveau chemin, car nous changerions le sens de l’histoire telle que nous l’avions envisagé.

Projetons-nous plus loin… Au crépuscule de notre vie, nous ne pourrons nus empêcher de revisiter notre vie après coup en se souvenant des moments qui nous ont construits et en oubliant ceux qui nous faisaient ombrage. Nous lui donnerons alors un sens qu’elle n’avait pas à l’origine et nous la raconterons à notre tour à nos enfants et petits-enfants afin qu’au minimum cela nous rassurer qu’elle valait le coup d’être vécue.

Or la vie n’a pas un sens a priori. C’est comme un chemin que vous prenez, faut-il prendre à gauche ou à droite, difficile, car vous ne savez pas vraiment où vous mènera l’un ou l’autre. En revanche, en fonction de vos préférences, de votre expérience passée, vous pouvez lui donner une direction petit à petit ou par à-coups.

E) Pour terminer deux derniers éléments pour expliquer la force des histoires :

La Facilité et le besoin d’être émerveillé

L’histoire est comme la vodka melon, on la boit sans même goûter l’alcool. Nous nous laissons bercer ou captiver sans prêter attention au reste. Ce qui est complexe devient simple, ce qui nous étranger devient proche, l’histoire vulgarise la réalité. Est-ce un mal ? Non, tant qu’on sait aller au-delà de l’histoire et essayer de comprendre la réalité telle qu’elle est et non telle qu’elle est racontée.

Besoin d'être émerveillé, de s'évader et d’espérer

La plupart des hommes et femmes aiment être émerveillés, ont besoin d’espoir, de s’évader hors de leur quotidien. L'histoire offre tous ces éléments. A l’image de la religion, l’histoire peut devenir une forme d’opium, une bouée de secours, un horizon. Sans, la vie peut devenir terne voire désespérante.

Voyez comment une histoire peut transformer une tragédie pour un enfant dans La Vita e Bella ?





Après l’éternelle question est vaut-il mieux être heureux et ignorer, ou malheureux et savoir ?

Les partisans du Père Noël et ses farouches opposants s’y retrouveront. Un peuple tout entier a aussi dû faire face à cette question : le peuple est-allemand lors de l’ouverture des archives de la STASI (cf la Vie des Autres) où vous pouviez découvrir que votre voisin, vos proches, votre conjoint consignaient chacun de vos gestes, chacune de vos pensées… et pouvaient vous mener derrière les barreaux.

Il n’y a pas de réponse car elle dépend de chacun, certains préféreront rester dans l'ordre contemplatif, ne pas rechercher, d'autres voudront savoir pourquoi, mettre à nu le mécanisme ?

Les plus grandes vocations scientifiques puisent leur source dans un émerveillement originel d’une histoire (l’origine de l’univers, de la vie, de l’homme…) et la quête insatiable pour la comprendre. Les plus grandes vocations humaines puisent leur source dans le refus de suivre le cours de l’Histoire et dans la volonté de le changer. (Gandhi, Martin Luther King, Charles de Gaulle…)


Dimitri

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